S’il est un cinéma qui peut caractériser l’enfance, c’est bien le cinéma de cape et d’épée. À mi-chemin entre le film d’aventure et le film historique, il pourrait être à la France ce que le western est aux États-Unis et le Péplum à l’Italie. Qu’est-ce que le cinéma de cape et d’épée ?

Le genre de cape et d’épée pourrait être défini comme mettant en scène des histoires se déroulant entre le XVe et le XVIIIe siècle (pouvant même déborder sur le XIXe siècle), avec des combats à l’épée, des cascades, de nombreuses péripéties et des rebondissements. Les histoires sont purement manichéennes : le héros est brave, courageux, fidèle, défend la vertu et se bat pour l’honneur (le sien, celui d’une dame ou du roi), alors que les antagonistes sont de vrais méchants, avec des intentions malsaines, faisant preuve de félonie et de traîtrise. Peu de place, donc, à la nuance.
La plupart des œuvres de cape et d’épée sont issues des plus célèbres romans-feuilletons du XIXe siècle et du début du XXe siècle : Les Trois Mousquetaires et Le Comte de Monte-Cristo d’Alexandre Dumas, Le Capitan et la série des Pardaillan de Michel Zévaco, Le Bossu de Paul Féval ou Le Capitaine Fracasse de Théophile Gautier. Ces œuvres mêlent des personnages purement fictifs : François de Cremazingue de Capestang (le Capitan), Lagardère ou Fanfan la Tulipe, avec des personnes ayant réellement existé : D’Artagnan, le cardinal de Richelieu, Concini… En principe, ces films se terminent bien : triomphe du héros après un dernier duel lui permettant de retrouver la femme aimée.

Deux grandes vagues

Même s’il y a quelques films de cape et d’épée entre l’invention du cinéma et la Première Guerre mondiale, comme L’Assassinat du duc de Guise, court-métrage de dix-huit minutes, réalisé par André Calmettes et Charles Le Bargy en 1908, d’après un récit d’Henri Lavedan (premier film pour lequel une musique est spécialement composée par Camille Saint-Saëns), une première vague de films de cape et d’épée est à signaler après la fin du conflit. En 1921, Henri Diamant-Berger réalise Les Trois Mousquetaires en douze épisodes, et, l’année suivante Vingt ans après en dix épisodes. Le cinéaste réadaptera Les Trois Mousquetaires en 1932, en deux épisodes, le tout d’une durée de 246 minutes, reprenant la plupart des acteurs de 1921. Nous pourrions encore citer Le Bossu, réalisé par Jean Kemm en 1925.
C’est à la fin de la Seconde Guerre mondiale que le cinéma français connaît une deuxième vague de films de cape et d’épée, trouvant son point d’orgue à la fin des années 1950 et au début des années 1960. Durant l’Occupation, les cinéastes se doivent de réaliser des films populaires et "apolitiques" ; c’est ainsi qu’Abel Gance sort Le Capitaine Fracasse en 1943, avec Fernand Gravey, et Jean Delannoy réalise Le Bossu en 1944, avec Pierre Blanchar. Ce sont des succès et ces mises en scène se poursuivent. En 1946, Robert Vernay tourne la première adaptation cinématographique du Capitan en deux époques.
Après diverses adaptations des établissements Lumière en 1903, d’Alice Guy en 1907, de Lux Compagnie en 1909, et de René Leprince en 1925, le personnage de la chanson d’Émile Debraux (1819) Fanfan la Tulipe connaît sa plus célèbre incarnation en 1952, par Gérard Philipe, dans le film de Christian-Jaque. Nous devrons également à ce réalisateur l’adaptation de La Tulipe noire, d’après le roman d’Alexandre Dumas, avec Alain Delon, en 1964.

Les spécialistes

Pour cette période, nous pourrions dégager deux réalisateurs indissociables du cape et épée :  André Hunebelle et Bernard Borderie. Le premier, né en 1896 et mort en 1985, connu du grand public pour la série des Fantomas, a réalisé huit films du genre : Les Trois Mousquetaires (1953), Cadet Rousselle (1954), Le Bossu (1959), Le Capitan (1960), Le Miracle des loups (1961) et Les Mystères de Paris (1962). Il revient au genre avec les films parodiques Les Quatre Charlots mousquetaires et À nous quatre, Cardinal !, tous les deux réalisés en 1974. Il ne faut pas oublier une référence cape et épée avec son film Sous le signe de Monte-Cristo (1968), même si celui-ci se déroule après la Seconde Guerre mondiale. Bernard Borderie, né en 1924 et mort en 1978, a, quant à lui, réalisé une adaptation des Trois Mousquetaires (1961), la série des Pardaillan : Le Chevalier de Pardaillan (1962), Hardi ! Pardaillan (1963), la série des Angélique : Angélique Marquise des Anges (1964), Merveilleuse Angélique (1965), Angélique et le Roy (1965), Indomptable Angélique (1967), Angélique et le Sultan (1968), qui, une fois n’est pas coutume, installe une femme en personnage principal. On pourrait y ajouter Catherine, il suffit d’un amour (1969), mais il est plutôt un film de chevalerie.
Le genre a quelques acteurs récurrents. En premier lieu Jean Marais (1913-1998), qui joue pour Hunebelle les rôles de Lagardère (Le Bossu), de Capestang (Le Capitan), de Robert de Neuville (Le Miracle des loups), de Rodolphe de Sombreuil (Les Mystères de Paris) ainsi que le rôle principal de la série télévisée Joseph Balsamo (1973) en sept épisodes. Il joue également le rôle du capitaine de l’armée de Bonaparte, Dorgeval, pour Bernard Borderie en 1967 dans Sept hommes et une garce. Il tient aussi le rôle d’Edmond Dantès dans Le Comte de Monte-Cristo de Robert Vernay, de La Tour dans La Tour, prends garde ! de Georges Lampin (1958), du Capitaine Fracasse dans le film de Pierre Gaspard-Huit (1961), et de D’Artagnan dans Le Masque de fer d’Henri Decoin (1962). Jean Marais devient finalement visage du héros de cape et d’épée français, faisant ses propres cascades, risquant souvent sa vie, se blessant de nombreuses fois dans Le Capitan, notamment dans la scène où il escalade une tour avec des poignards. Compère de Jean Marais dans Le Bossu et Le Capitan, Bourvil est également un visage important du genre, en second rôle humoristique et attachant, respectivement en Passepoil et Cogolin. Il avait déjà joué pour Hunebelle le valet de D’Artagnan, Planchet, dans le film de 1953, et Jérôme Baguindet dans Cadet Rousselle. Il joue également Flicot, un soldat de l'armée napoléonienne, dans Les Hussards d’Alex Joffé (1955).
D’autres grands noms du cinéma sont des visages familiers du film de cape et d’épée : Jean Rochefort, second rôle au début de sa carrière dans Le Capitaine Fracasse, Cartouche de Philippe de Broca (1961), Le Masque de fer, et dans les trois premiers films de la série des Angélique ; tandis que Louis de Funès et Philippe Noiret sont des comédiens de la troupe du Capitaine Fracasse. Les sportifs y trouvent également leur place : les escrimeurs Raoul Billerey et Claude Carliez (qui chorégraphie les combats d’à peu près tous les films cités), et le cavalier Jean Paqui, le Capitan du film de 1946, médaillé de bronze de saut d’obstacles aux JO de Londres en 1948. Mais un acteur reste indissociable du genre : Guy Delorme. Il apparaît dans à peu près tous les films cités et fait toujours le rôle du méchant, du traître. Cascadeur à l’origine, il se retrouve souvent à combattre en duel contre le personnage joué par Jean Marais ou Gérard Barray. Ce dernier est un autre visage incontournable du genre, ayant la particularité de jouer les héros dans la plupart des films, mais qui joue le méchant dans Le Capitaine Fracasse, puisque le héros est Jean Marais. Il joue D’Artagnan dans la version des Trois Mousquetaires de Bernard Borderie, et Pardaillan pour les deux films du même cinéaste. Il joue Scaramouche, dans le film éponyme d’Antonio Isasi-Isasmendi (1963), et Surcouf dans les deux films de 1966 Surcouf, le tigre des sept mers et Tonnerre sur l'océan Indien, de Sergio Bergonzelli et Roy Rowland.
Puis le genre disparaît peu à peu. Notons juste Les Mariés de l’an II de Jean-Paul Rappeneau, avec Jean-Paul Belmondo et Marlène Jobert, au début des années 1970, et Zorro, de Duccio Tessari, avec Alain Delon, en 1975.

Différentes tentatives de retour

Dans les années 1990, il y a quelques tentatives de retour du genre. D’abord par Jean-Paul Rappeneau avec les adaptations de Cyrano de Bergerac (1990) et du Hussard sur le toit (1995), par Philippe de Broca (qui avait réalisé Cartouche en 1962) avec Le Bossu (1997). Bertrand Tavernier hérite au dernier moment de la réalisation de La Fille de D’Artagnan (1994), avec Sophie Marceau en fille de Philippe Noiret.  Puis il faut attendre 2003 pour que le genre revienne avec le Fanfan la Tulipe de Gérard Krawczyk et, encore, 2011, pour un film parodique, Les Aventures de Philibert, capitaine puceau de Sylvain Fusée, avec Jérémie Rénier et Alexandre Astier. C’est finalement 2023 qui voit le grand retour du genre avec une nouvelle version des Trois Mousquetaires de Martin Bourboulon en deux épisodes, D’Artagnan et Milady, ainsi qu’Une affaire d’honneur de Vincent Perez, et, en 2024, sortira une nouvelle version du Comte de Monte-Cristo, par Alexandre de La Patellière et Matthieu Delaporte, avec Pierre Niney.
Mais le genre n’a jamais vraiment disparu à la télévision, car, outre les multiples rediffusions des films avec Jean Marais, beaucoup de téléfilms du genre sont tournés depuis la fin des années 1990. Notons juste en 1997, Pardaillan, l’un des premiers rôles de Guillaume Canet, Lagardère, en deux épisodes (2003), ainsi que les productions de José Dayan Le Comte de Monte-Cristo (1998), Milady (2004), et Diane de Poitiers (2022). Finalement, même si le cape et épée est un genre populaire par excellence, la majorité des productions datent des années 1950-1960.

Donatien Mazany

 Cinéfil n°71 - novembre 2023